On est en 1947, à la veille de Noël. Quelque part à Montréal, votre grand-mère et sa famille sont en route vers l’église pour assister à la messe. On peut entendre le froufrou des manteaux et le bruissement du vent de décembre dans les arbres alors que les gens s’entassent pieusement à l’intérieur. Ce soir, c’est une nuit sainte, et on dirait que le monde entier le ressent. Votre grand-mère retire sa capine, lève les yeux vers le vitrail représentant la Vierge à l’Enfant, puis, reconnaissante pour cette autre belle année qui vient de se terminer, elle murmure : « Merci, Marie ».

On est en 2012. Les flocons de neige tourbillonnent au gré du vent de décembre. Vous êtes dans la baignoire, en train de boire un verre de vin, et vous lisez quelque chose d’un petit peu plus classe que Cinquante nuances de Grey tout en savourant ce moment de solitude. Oui, la vie est belle. La dernière année a été remplie de beaux défis, mais vous les avez tous surmontés. Maintenant plus forte que jamais, vous vous êtes acheté un nouveau chez-vous pour mieux rebondir. Vous levez les yeux vers le même visage que votre grand-mère admirait il y a si longtemps et vous souriez de contentement alors que vous vous enfoncez un peu plus profondément dans les bulles de votre bain moussant.

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Ah, que les temps changent.

Si le nombre d’églises dans une ville était un signe de piété, il y aurait certainement plus de Montréalais au ciel que de citoyens de n’importe quelle autre ville d’Amérique du Nord. Mark Twain, lors de sa brève visite en 1881 au sein de notre métropole, a déclaré que Montréal était la seule ville qu’il connaissait où l’on ne pouvait jeter une brique dans n’importe quelle direction sans briser la fenêtre d’une église.  Un an plus tard, Neitzche affirmait : « Dieu est mort ». La note de service ne semble toutefois pas s’être rendue jusqu’à Montréal avant les années 1960, parce que c’est à cette période que les Québécois ont organisé la Révolution tranquille et ont arrêté d’aller à l’église. Aujourd’hui, moins de cinq pour cent des Québécois prétendent être des catholiques pratiquants et l’exode des messes a laissé bon nombre des 700 églises de Montréal complètement vacantes.

Et maintenant, plutôt que de voir ces lieux démolis ou tomber en décrépitude, quelques promoteurs montréalais ont eu l’ingénieuse idée de réutiliser ces refuges spirituels d’autrefois en les transformant en de vrais sanctuaires du 21e siècle. Ce qui veut dire en un mot, des chez nous.

Faites-vous partie de ces gens qui veulent acheter un condo, mais qui n’aiment pas le look de style « boîte en verre » arboré partout de nos jours sur le marché? Vous pleurez la disparition des belles architectures romantiques? Alors, ce concept pourrait vraiment être fait pour vous.

Ce sont des établissements traditionnels qui, à moins qu’on ne leur trouve une autre vocation, pourraient être démolis. En fait, cette idée d’églises converties préserve notre héritage, tout en donnant une utilité à ces bâtiments qui deviennent ainsi pratiques dans le quotidien de la vie montréalaise. Je vous donne quelques exemples.

Le cas de conversion en condos le plus populaire de Montréal est sans contredit la Place Delacroix sur le boulevard Saint-Laurent, dans la Petite Italie, qui a subi d’importantes rénovations en 2003. Aujourd’hui, un passant aurait du mal à voir ce qui la différencie d’une autre église. Mais il y a des indices : des nouvelles fenêtres par exemple, ou un balcon ou deux de plus. L’intérieur par contre ressemble très peu à l’architecture originale, qui a presque toute été remodelée et transformée.

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Parfois, on utilise et intègre la façade originale d’une l’église dans le cadre d’un plus gros projet, comme c’est le cas pour l’ancienne église Saint-Jean le Divin de Verdun. Vous voyez, on a ajouté un étage de plus et un nouveau toit aux murs en brique originaux :

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Les éléments retrouvés à l’intérieur comme les vitraux, les portes et l’ameublement d’origine sont parfois intégrés comme ç’a été fait pour la First Presbyterian Church sur Jeanne-Mance. Pour ce qui est des autels par contre, je suis pas mal sûre qu’on les enlève. Et attention, vin d’eucharistie non inclus dans le prix.

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Quant à l’ancien monastère des Sœurs adoratrices du Précieux-Sang transformé en condominiums dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, on a gardé les fenêtres, la brique et les hauts plafonds d’origine afin de créer un effet des plus éblouissants (et disons des plus dispendieux aussi).

Et puis il y a cette idée fabuleuse d’avoir converti une église de la Ville de Québec en une école de cirque (!).

Club trampo

Mais je m’écarte du sujet…

Alors, qu’est-ce qu’on fait de nos hauts lieux saints transformés en des espaces habitables confortables? Vous vous sentiriez comment d’avoir un vitrail de la Vierge à l’Enfant dans votre salle de bain? On a appelé votre grand-mère pour avoir son avis, mais elle a refusé de commenter.