Au début des années 1800, Mme Mary Griffin souhaitait bâtir de belles demeures sur des terres au bord du canal de Lachine. Est-ce aujourd’hui que son rêve se réalise?

Selon un des mémoires déposés à l'Office de consultation publique de Montréal (OCPM), on peut lire que le territoire qui nous concerne n'était qu'une forêt de mort-bois depuis le reflux des glaciers, un endroit vierge composé de broussailles et de ronces, et parsemé de prairies inondables. Sillonné d'ouest en est par la petite rivière Saint-Pierre aujourd'hui disparue, il demeura tel quel jusqu'à l'arrivée des Français.

Suite à la colonisation des Français, sa vocation devint agricole et il prit le nom de fief de Nazareth. Jeanne Mance, qui avait obtenu ces terres du Gouverneur Maisonneuve, voulut en faire, dans sa partie sud, une ferme pour les Sœurs Grises en soutien financier à leur hôpital nouvellement construit à la hauteur de la Pointe-à-Callière, hors des murs de la ville. En 1792, les Soeurs de l'Hôtel Dieu octroyèrent à Thomas McCord un bail de 99 ans sur le fief de Nazareth (ancien nom de Griffintown). En 1804, profitant de l'absence de Thomas McCord, alors en voyage d'affaires en Angleterre, l'un de ses partenaires sans scrupules vendit le fief à Mary Griffin. Mme Griffin commença alors la construction des premières rues du quartier (selon un plan de rues octhogonal, le premier du genre en Amérique du Nord) avant de devoir rendre le fief à McCord en 1814 au terme d'une longue bataille juridique. Il balaya les plans de Mme Griffin et modifia le nom des rues qui devinrent Ottawa, Prince, King, Duke…

À partir de 1815, à la recherche de conditions de vie meilleures, les Irlandais déferlent dans Griffintown pour s'établir autour de l'église Sainte-Anne, démolie en 1970 et devenue aujourd'hui un parc. C'est la révolution industrielle. Victimes de conditions de vie médiocres, insalubres, assombries par la fumée des manufactures, ces immigrés de la Grande Famine s'arrachent le cœur pour la construction du canal de Lachine, du Pont Victoria et du chemin de fer Grand Tronc.

Sur la Pointe-des-Seigneurs viennent s'établir les premières usines utilisant la force hydraulique du canal de Lachine. Les moteurs à vapeur font leur apparition. Dans les installations de la New City Gas Company, rues Wellington, Dalhousie et Ann, on produisait le gaz pour illuminer Montréal.  Reconnaissable à ses grandes toitures et à sa maçonnerie en pierre, le bâtiment a récemment été rénové en salle de spectacle.

Au cours du XXe siècle, de grands changements surviennent. Le tramway favorise le déplacement des habitants vers des quartiers plus salubres et la voie ferrée fracture le territoire. En 1959, l'ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent, rend le canal Lachine inutile. Les usines désertent progressivement ses berges et une bonne partie des résidants du quartier aussi. En 1965, autre coup dur pour Griffintown: l'ouverture de l'autoroute Bonaventure isole davantage le quartier. Cinq ans plus tard, le canal Lachine ferme, entraînant la fermeture de plusieurs usines. Vingt milles emplois sont perdus et les Irlandais quittent massivement le quartier. Le quartier est alors abandonné pendant 20 ans jusque dans les années 1990.

L’esprit pionnier de Mme Griffin, par contre, n’est pas mort. Depuis les années 1990, ce même élan pousse de jeunes professionnels et des artistes à reconquérir les lieux. « C'est une clientèle plutôt jeune, des défricheurs de marché, je dirais, ce sont les premiers qui embarquent », souligne Marco Fontaine, représentant commercial au District Griffin, le grand projet de la firme Devimco, en construction dans le secteur des rues Peel et Wellington.

Le renouveau qui s’effectue sur le territoire le ramène à ses racines historiques d’habitation de choix. Mme Griffin en serait sûrement fière.