De temps à autre, je m’emballe pour un projet plus ou moins farfelu et il n’est pas facile de me faire atterrir. Ma dernière fantaisie: acheter un condo à Miami.  Je rêve d’un moyen de faire un pied de nez à l’hiver qui s’annonce. D’aller parfois en vacances, oui, mais aussi de travailler à volonté sans avoir besoin de tuque, loin de la sloche brune.

Au milieu de mes insomnies, je surfe sur des sites immobiliers américains en imaginant de belles canicules au mois de mars. J’utilise en particulier des portails permettant de voir les propriétés à vendre sur une carte géographique.


Tous à Miami !

Tenace impression : je suis un charognard qui survole un océan de victimes. C’est l’hécatombe chez nos voisins. On connaît les chiffres : près de 100 000 saisies chaque mois. En mai 2010 un ménage sur dix risquait encore de perdre sa maison. Un sur dix! Mais lorsqu’on utilise par exemple Google Map et qu’on choisit « Immobilier », dans « Extras », on peut voir les propriétés à vendre et ça devient étourdissant :

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Parmi les options affichées à gauche, on a le choix entre «Location », « Vente » et… « Saisies ». Déjà, la présence incongrue de cette option dans un outil tel Google Map est significative, mais le résultat affiché lorsqu’on décoche « Vente » pour cocher « Saisies » est encore plus délirant :

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Et si on coche les deux, c’est simple, la carte est à peine visible tant il y a de points rouges. Il serait presque plus simple d’afficher les propriétés qui ne sont pas à vendre.

À noter: on peut survoler les propriétés à vendre sur Google Map, mais on peut aussi prendre le « petit bonhomme Google » et descendre carrément dans la rue en immersion 3D grâce à Street View. Il suffit alors de saisir le petit bonhomme en haut du curseur permettant de zoomer, à gauche, et de le glisser jusqu’à la rue désirée.

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Et hop! Nous voici devenus un petit homme Google défilant en plein cœur de Miami!

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Un marché de Vautours?
Dans un tel marché catastrophique, les acheteurs sont-ils alors des profiteurs sans pitié, qui dévorent les victimes de la bulle immobilière tels des vautours, plongeant la tête ensanglantée dans les cadavres encore fumants d’un troupeau de moutons décimés par un incendie? Sans parler des nombreux sites consacrés exclusivement aux faillites immobilières qui ont poussé comme des champignons sur un arbre mort.

Il y a tant d’aubaines que la moitié du Québec pourrait acheter dans le Sud sans épuiser le marché. Qu’attendons-nous? Pourquoi aimons-nous tant geler comme des Zouaves? Ceci dit, même les Zouaves ne gelaient pas comme nous: http://fr.wikipedia.org/wiki/Zouaves

Que l’on soit charognard ou non, on peut avoir des aubaines impressionnantes et les « snowbird » en devenir peuvent casser leur petit cochon aujourd’hui même. Dans les options modestes, on peut très aisément trouver une multitude d’habitations pour moins de 100 000$. Mais rappelez-vous, je ne suis pas dans un processus rationnel mais bien dans une « balloune » (d’autres diraient une « dérape ») ; ça me passera sûrement, comme me passerait sûrement l’idée de me fabriquer une navette spatiale à la scie sauteuse ou de devenir collectionneur de cure-dents en ivoire. Me voici donc assis, un soir, lorsque les enfants dorment, en train de visiter des condos à vendre en plein centre-ville de Miami, comme si j’étais un Péladeau ou un Acurso en quête d’une énième propriété secondaire. On parle de condos de deux chambres dans des tours de luxe, parfois avec piscine, sauna, tennis; ne manque que la plateforme de décollage pour aller jouer au golf en hélicoptère. Et voici que je survole quelques propriétés de grand luxe à des prix carrément dérisoires. 3 500$, 4 000$. Pas d’autres zéros, alors que les autres propriétés sont affichées avec toutes les décimales requises. Les grandes fortunes sont-elles aussi tombées dans l’hécatombe? Y a-t-il une pénurie de gens capables de se payer non pas de tels condos, mais surtout leurs taxes et frais mensuels – car les taxes et les frais n’ont pas changé, ils contiennent encore un zéro de trop dans de tels cas. Je tombe alors en profonde perplexité devant le penthouse suivant :

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Le tout est affiché à 8 000$. C’est un poil trop étrange. J’hésite un peu, puis j’écris à l’agent immobilier pour savoir : est-ce huit mille, quatre-vingt mille, huit cent mille, huit millions? Le dernier chiffre serait plus probable en temps ordinaires, mais rien ne semble tout à fait impossible dans cette période aux USA….

L’agent immobilier, Teo,  me répond rapidement. Un gros poisson, faut le ferrer vite! Merci de votre intérêt M. Sauvé. C’est un penthouse offert à 1.8 M avec une vue époustouflante. Notez que le signe M est très courant dans une petite sphère de la société : ce sont des millions qui font économiser l’encre de tous les zéros qu’il faudrait tracer, et c’est parfois très fatigant de faire plein de calculs avec des millions remplis de zéros, alors on met des M.

Donc, Teo me demande si je cherche précisément dans cet édifice en particulier, et quel est le prix que je cherche. Je regarde encore les photos : les vitres hautes de deux kilomètres, le mobilier zen perdu dans cet espace trop beau, la mezzanine, la vue sur l’océan. J’aimerais beaucoup être ton ami, Teo, te faire plaisir et acheter ceci en guise d’habitation secondaire pour les nuits de février trop froides. Mais tu sais quoi? Je crois que je vais aller me coucher dans mon lit, à Villeray, Montréal, PQ, et on se croisera peut-être dans une autre vie…

Note:  ce délire a  été écrit en 2010. Mise à jour en 2013: le service d'affichage de propriétés à vendre a été retiré de Google Map, car la qualité n'était pas au rendez-vous (il y avait trop d'information erronée). On ne parle plus autant de faillites et la chute immobilière semble avoir résolument cessé aux USA. De nombreuses occasions demeurent toutefois dans un marché toujours déprécié, où l'offre est beaucoup plus grande que la demande.  En témoignent encore une multitude de sites immobiliers américains consacrés aux "foreclosure", aux "short sales" et autres aubaines d'un marché immobilier en "détresse".
Je n'ai toujours pas acheté mon penthouse à Miami... mais la dernière fois que je suis passé au joli centre-ville d'Orlando, je me voyais bien y passer l'hiver... (DS).

Référence:Fire Sale: How to Buy US Foreclosures, par Philip McKernan

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